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Chine - Terrils atomiques
Publié le jeudi 17 janvier 2008

Chine - Terrils atomiques

Au mépris des règles de sécurité, Pékin a abandonné ses mines d’uranium. Reportage sur le site 712, dans la province du Hunan, où 33,5 millions de tonnes de déchets ont été laissés en plein air.

Ce 16 octobre 1964, on avait trinqué à la gloire du pays, dans la mine 712. Un beau jour pour le vieux Liu Xianke. Il en a encore des bouffées de fierté : « La bombe avait éclaté. On avait armé notre pays ! » Le premier champignon atomique chinois, dans le lointain désert du Taklamakan, était l’œuvre de Mao. Et celle des milliers de mineurs d’uranium du site 712, des paysans enrôlés de force aux quatre coins du pays. Chaque après-midi, Liu Xianke, 72 ans, se promène entre les usines désossées, sur les terrils chauves et la campagne désolée. Du haut de la « Colline des héros », le cimetière des mineurs, il songe à sa jeunesse enthousiaste, dans la Chine en marche vers le progrès. C’était le Grand Bond en avant, l’Armée populaire de libération avait appelé les Russes pour chercher de l’uranium dans le sous-sol chinois. « Une époque qui ne dit plus rien à personne », constate Liu. Aujourd’hui, pour ceux de la mine 712, c’est le grand abandon.

Procès retentissant

La mine a fermé en 1986. « Epuisée », ont décrété les militaires, qui ont bouché les issues avec du béton. A l’époque, on ne parlait pas encore de centrales civiles. La mine 712, comme quatre autres dans le Hunan, a été « mise à la retraite », près de 5 000 mineurs ont été abandonnés à leur sort. L’uranium était devenu inutile. Vingt ans après, il vaut plus que l’or. La Chine n’a pas rouvert ces gisements, mais elle a soif d’uranium pour la quarantaine de centrales nucléaires qu’elle projette d’ouvrir d’ici à 2020. Elle achète le minerai au Niger, en Australie et en Russie. Dans le Hunan, il est devenu l’objet d’un lucratif trafic. Les paysans, convaincus de vivre sur une fortune, font exploser le béton à la dynamite et descendent dans les boyaux condamnés pour chercher du minerai. Trempé dans de l’acide sulfurique, lavé à grande eau, il est transformé en yellow cake, « gâteau jaune », et mis sur le marché noir. Cet artisanat local est pratiqué dans les chaumières.

En août, quatre hommes ont été jugés lors d’un procès retentissant à Canton. Originaires du Hunan, ils avaient été arrêtés avec vingt grammes d’uranium qu’ils transportaient sur eux, dans un sachet en plastique. Des paysans, dont certains venaient de la région de la mine 712, qui ignoraient la dangerosité de leur trafic. Ils s’apprêtaient à écouler huit kilos de yellow cake, vraisemblablement extraits de la mine désaffectée, au prix de 200 000 yuans le kilo (19 000 euros). La police n’a pu récupérer que 35 grammes, le reste est dans la nature, dans le circuit d’un marché noir qui semble se développer. Selon la presse de Hongkong, les quatre hommes arrêtés ne seraient qu’une partie d’un gang puissant, qui a déjà fait parler de lui. Le procès a mis l’affaire en lumière, sinon personne n’en aurait jamais entendu parler.

« En Chine, l’uranium est classé secret d’Etat », explique le professeur Zhou Xinghuo, directeur adjoint du centre de surveillance de l’industrie nucléaire du Hunan. Il accepte de recevoir Libération mais ne répond à aucune question sensible. Les travaux de protection de la mine 712, assure-t-il, sont en voie d’achèvement. Mise en faillite officiellement en 2003, dix-sept ans après sa fermeture, elle serait enfin sécurisée : « On a eu des problèmes de budget après le départ des militaires. Mais maintenant, c’est réglé. L’endroit est sûr. » L’Etat s’apprête à se désengager définitivement. Passé de la tutelle de l’armée à celle de la Société nucléaire chinoise (qui chapeaute le nucléaire civil), le dossier 712 dépendra bientôt de la province du Hunan.

Il reste quelques problèmes, reconnaît le professeur : « Le taux de radioactivité est plus élevé qu’ailleurs, forcément. Une mine engendre toujours de la pollution. » Mais le chiffre est un secret. Le professeur Zhou pose une main sur un cahier rouge plastifié, daté de 1990. Le dossier « Evaluation sur l’environnement de la déclassification de la mine » est clos. L’entretien aussi. Selon un document du bureau des terres de la province du Hunan, cité par le journal pékinois Caijing, la mine 712 aurait produit 33,5 millions de tonnes de déchets laissés en plein air. Leur radioactivité serait six fois celle autorisée en Chine. Quelque 15 000 personnes, paysans et anciens mineurs pour la plupart, vivent à proximité de cette ancienne mine.

Le vieux Liu Xianke, l’ancien mineur, a vu défiler beaucoup d’officiels, et entendu leurs discours depuis vingt ans. Le site allait être protégé, les terrils stabilisés, les mineurs indemnisés et relogés dans des appartements en ville. Rien n’est arrivé depuis que des bulldozers ont recouvert les terrils d’une trop fine couche de terre. Sa masure de l’ancien coron s’effondre, sa retraite diminue. Il soupçonne l’air qu’il respire et l’eau qu’il boit de l’empoisonner lentement, comme ceux de la Colline des héros, morts avant 50 ou 60 ans.

Chez lui, dans un coffret de velours rouge posé sous le portrait de Mao, il garde une médaille, tout ce qu’il a reçu : « Liu s’est consacré à l’œuvre de la défense nationale pendant trente ans, il a contribué à la modernisation de la Chine. » Certains jours, il a envie de tout jeter, la médaille et le portrait. Alors il part se promener avec ses souvenirs, sur les terrils, où affleurent des paquets gris qu’il écrase du bout de son soulier : « C’est ça l’uranium », dit-il. Un muret censé interdire l’accès s’effondre par endroits. La végétation qui devait stabiliser les collines n’a pas poussé. Mais une belle plaque en marbre témoigne de « travaux exemplaires et [d’]argent bien utilisé ».

Au bord du terril n°1 vit la famille Mao. Des paysans du village qui se sont installés là en 1990. Les poules picorent dans la zone classée dangereuse, où poussent un verger de pêchers et des rangs de légumes vendus au marché. « Personne ne nous a jamais dit que c’était dangereux, raconte la mère. Il y avait de la terre libre, on est venus. Ils ont construit le mur de protection après. » La terre est rare, et les paysans nombreux, chaque mètre carré compte. Le mur de protection, d’un mètre, contourne l’habitation.

« En 2005, poursuit la mère Mao, des gens de la ville sont venus avec des appareils tester les maisons et nous ont dit que c’était dangereux, qu’il y avait de l’uranium dans l’air. Ils nous ont dit de partir et ne sont pas revenus. On est toujours là, on ne sait pas quoi faire. »Récemment, son fils a été refusé dans l’armée. Son foie était « trop gros ». « Aucun garçon du village ne passe les visites médicales de l’armée », ajoute son mari. Selon le Pr Zhou, des dizaines de paysans sont dans le cas des Mao : « Ils n’écoutent pas quand on leur dit que la zone est interdite. Ils cultivent leurs légumes sur les terrils. C’est leur faute. » Sur les huit terrils à l’abandon de la mine 712, un seul porte un panneau « interdiction d’entrer ». Les autres sont ouverts à tout vent. Comme les usines rouillées où vont jouer les enfants du village.

Tumeur au cou

« En 1990, des gens sont venus mesurer la radioactivité de l’air et de la terre, raconte Li, un autre paysan du village de Xinzhuang. On ne nous a jamais donné les résultats, ni jamais dit quoi que ce soit après. » Li, la cinquantaine, vit avec ses poules dans une maison froide, éclairée elle aussi par le sourire du Grand Timonier sur un poster défraîchi. Son fils de 24 ans est parti travailler dans une usine de Canton, avec une tumeur au cou. Il est inquiet et hésite à parler. Le chef du village a averti : « Il ne faut pas que cela se sache à l’étranger. » Le problème de Li, c’est l’eau qu’il utilise pour irriguer son champ, puisée dans un étang « bouché par les sables de l’usine qui nettoyait l’uranium ». Du temps de la mine, il était interdit de s’y approvisionner. En 2003, année de la mise en faillite officielle du site 712, la Chine a voté sa première loi sur la prévention de la pollution radioactive. L’étang aurait dû être dépollué, cela ne s’est pas fait. Cela n’empêche pas Li de vendre ses légumes à la ville voisine. A la saison sèche, certains paysans rouvrent les puits de mine pour chercher de l’eau.

« Interdiction de parler ! »

Il existe toujours un bureau de la mine 712 dans l’ancien coron, un bâtiment de deux étages dans la rue principale. Des dizaines de fonctionnaires tuent le temps en fumant et en buvant du thé. Les locaux, immenses, sont sombres, pas chauffés. Les murs couverts de fresques communistes devenues presque invisibles sous la crasse témoignent d’un temps révolu. Dès que « le certificat de fin de travaux » sera signé et la mine définitivement effacée de la carte, les employés fermeront boutique et seront mutés en ville. Une affaire de semaines, espère un chef de bureau qui ne veut pas donner son nom : « On va recevoir l’argent de la deuxième phase et ce sera terminé. Les paysans seront indemnisés et pourront déménager », dit-il, visiblement gêné. Son supérieur passe la tête à la porte, en hurlant : « Interdiction de parler aux étrangers ! »

En face, c’est l’ancien hôpital des mineurs aux couloirs glacials, pas mieux loti que le bureau de la mine. Xie Fuyang, le pharmacien, n’a pas demandé à venir à Xinzhuang. Il a été nommé d’office en 1990 et personne ne l’a averti de la situation locale. Celle-ci n’étant pas très claire, il s’est fié à ses propres statistiques. En 2003, dit-il, 350 des 4 000 mineurs encore en vie souffraient d’un cancer, soit un taux près de cent fois supérieur à la moyenne chinoise. L’espérance de vie des mineurs, entre 50 et 60 ans, est loin d’atteindre celle du reste du pays, qui est de 72 ans.

Xie Fuyang a aussi observé des pathologies particulières chez les paysans, des maladies cardiaques ou digestives, comme les « gros foies » dont parle la famille Mao. « Les ennuis de santé sont globalement plus importants qu’ailleurs, ma femme et moi avons des problèmes cardiaques à moins de 40 ans, explique le pharmacien. Mais je ne peux rien dire de plus, nous n’avons aucun moyen de faire des études poussées. Tout ce que je sais, c’est que la radioactivité tue très lentement. Et qu’il faudra longtemps pour mesurer, dans la population, le désastre que nous constatons chez les mineurs. » Un jour, le patriarche du village Liu Xianke ne sera plus là pour témoigner. On jettera sa médaille, son Petit Livre rouge et la fine combinaison de coton blanc qu’il a enfilée durant près de trente ans avant de descendre dans la mine 712. Il économise pour sa tombe, sur la Colline des héros.

Libération - 17 janvier 2008 - Envoyée spéciale à Xinzhuang, Pascale Nivelle

 
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