No 52, avril 2000
lundi 1er octobre 2007
par ContrAtom

Quand Lothar est venu embrasser la centrale du Blayais

La nuit du 27 au 28 décembre 1999, on a failli immerger les déchets nucléaires, le combustible et la centrale en même temps.

Plus ça va, moins on a envie d’en rire. Pourtant, ça ne manque pas de piquant, ces blagues à répétition : l’incident « hautement improbable » se produit, on passe à côté de la catastrophe, on nous dit que rien ne s’est passé, et on recommence. Mais la recette commence à être usée et à ne plus faire rire. Surtout en France, où EDF (Électricité de France) a beaucoup de mal à renouveler son répertoire d’explications rassurantes.

Cette nuit-là...

La nuit du 27 au 28 décembre, donc, alors que l’ouragan Lothar balayait l’Europe, la centrale atomique du Blayais (Gironde) a été partiellement inondée. Sans entrer dans de fastidieux détails techniques (disponibles, pour les intéressés, sur le site http://www.sortirdunucleaire.or), relevons que deux des quatre tranches de la centrale ont vu les infiltrations d’eau mettre à mal leur système de refroidissement. Juste pas assez pour que tout pète, mais presque. Pour mémoire : si un réacteur n’est pas constamment refroidi, il court le risque d’entrer en fusion, et subséquemment, de réduire notablement le nombre de contribuables dans la région. Pas de contribuables, pas d’impôts ; pas d’impôts, pas de centrale ; voilà pourquoi, généralement, on cherche à éviter ce type de problème.

90 000 m3 d’eau ont dû être évacués du sous-sol de la centrale. Il aura fallu une semaine pour ce faire. Il faut dire que les concepteurs de l’installation ont eu l’excellente idée de la faire construire en dessous du niveau des eaux, à côté de la Gironde. Du coup, pas bête, on a élevé une digue. Laquelle, ne tenant pas compte des probabilités de tempêtes exceptionnelles ou autres crues millénaires, s’est révélée plus d’un mètre trop basse lors de cette fameuse nuit. EDF avait prévu de la rehausser, mais avait reporté les travaux en 2002. Elle a eu bien raison, puisque rien ne s’est passé.

Un improbable acceptable ?

Pour EDF, on peut tolérer l’improbable. L’improbable ne se produit jamais. Sauf dans le cas des centrales nucléaires, quelle malchance, la statistique n’est plus ce qu’elle était, ma bonne dame. On produit des normes de sécurité dramatiquement optimistes, que l’on applique avec plus ou moins de sérieux (allez voir les photos de la digue surhttp://altern.org/asso/tchernobl...) et on dépense des fortunes en propagande rassurante et en désinformation. Et puis, on est prêts à toute éventualité : on se prépare à évacuer des régions entières, juste au cas où (exercice autour de la centrale de Paluel en Seine-Maritime, le 2 mars 2000). L’exercice, réalisé de jour, par beau temps, et avec un bien faible pourcentage de la population acceptant de se faire évacuer un jour entier (on n’a pas que ça à foutre !), s’est bien passé. Sûr que les grands penseurs d’EDF ont tout prévu lorsque la prochaine tempête défoncera la nouvelle digue du Blayais, en pleine nuit, alors que les routes d’accès à la centrale seront, comme ce fut le cas fin décembre, totalement impraticables.

De nombreux spécialistes de la chose atomique le proclament sereinement depuis des années : en l’état actuel des choses, la France connaîtra, un jour ou l’autre, une fusion de cœur de réacteur. Soit un « incident » bénin de type Tchernobyl. On peut se demander si, à nouveau, le nuage radioactif sera arrêté par la frontière française, qui, comme chacun le sait depuis 1986, possède d’étranges propriétés radio-défensives. (Elle laisse entrer les immigrés clandestins et les multinationales, mais refoule impitoyablement la radioactivité et la viande de bœuf anglaise).

En attendant l’accident majeur...

Les nucléocrates français, qui comptent parmi les plus bornés et hypocrites de la planète (un bonheur pour un chroniqueur antinucléaire, serais-je cyniquement tenté de dire), attendent tranquillement l’accident majeur qui sonnera le glas de leur discours lénifiant. On lèvera un impôt pour indemniser les mutants survivants, et puis on organisera de nouveaux circuits touristiques pour aller admirer les nouvelles espèces apparues dans la faune et la flore de la région sinistrée.

Comme d’habitude, la devise de la France en matière d’énergie atomique reste d’une simplicité consternante : « Après moi, le déluge ». Et après le déluge ?

Bernard Engel