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Articles par thèmes :
Tchernobyl
Articles par pays :
Russie - Europe de l’Est
Journal par No :
No 78, avril 2005
Auteurs :
Anne-Cécile Reimann Fabienne Gautier
No 78, avril 2005
Publié le dimanche 30 septembre 2007

Les liquidateurs ne se sont pas sacrifiés pour sauver l’Europe. On les a sacrifiés !

La situation dramatique de ceux qu’on a appelé les « liquidateurs » donne lieu à des hommages. Ils se seraient « sacrifiés » pour éviter un désastre européen. Il est exact que s’il n’y avait pas eu ces interventions sur le réacteur en détresse, la contamination de l’Europe aurait été bien plus importante et leur action a sauvé bien des Européens. Se sont-ils sacrifiés ? Non, on les a sacrifiés1. Il fallait beaucoup de monde pour effectuer ce travail, puisque chacun ne pouvait demeurer dans l’enfer que très peu de temps et ces centaines de milliers d’hommes n’ont pas été informés de ce qui les attendait réellement. Personne ne leur a expliqué les risques de l’irradiation pour leur santé et pour leur vie. Personne n’a dit aux pilotes des hélicoptères qui ont survolé le réacteur pour y déverser plomb, bore, dolomite et autres matériaux, que le débit de dose mesuré était redoutable. Dans le meilleur des cas, tous les hommes qui se sont succédés pouvaient s’attendre à un cancer radio induit dans l’espace d’une quinzaine d’années, plus probablement c’est une leucémie mortelle qui les guettait dans les mois suivants ou encore des effets peu connus sur la santé qui les feraient mourir extrêmement rapidement. Or, aucun des intervenants sur les lieux du sinistre n’avait été mis au courant des risques du rayonnement.Les auraient-ils acceptés sinon ? Les autorités soviétiques ont-elles expliqué aux condamnés de droit commun à qui elles ont offert la liberté en échange de leur intervention à Tchernobyl le gain proposé : réduction du temps passé en prison contre diminution de leur espérance de vie ? Certainement pas !

Ces héros qu’on laisse mourir

Que les liquidateurs se soient sacrifiés ou qu’ils aient été sacrifiés, une chose est certaine : des quelques 600 000 « héros » de l’Union soviétique, soldats et civils qui furent envoyés à Tchernobyl dans les jours, les mois et les années qui suivirent la catastrophe, la moitié est gravement malade ou a déjà disparu et ceux qui sont encore vivants se battent pour toucher les indemnités qui leur sont dues. « On nous a volé notre vie et maintenant on nous cambriole. » s’exclame le président de l’association moscovite des liquidateurs de Tchernobyl. En effet, une récente « réforme des avantages sociaux » entrée en vigueur en Russie le 1er janvier 2005 vient de priver ces hommes de toute une série d’avantages en nature. Quelques dizaines d’anciens liquidateurs, souvent déjà gravement malades, on fait plusieurs semaines de grève de la faim. Des manifestations ont rassemblé quelques centaines de liquidateurs mais, la plupart, trop faibles ou trop habitués à être oubliés, sont restés chez eux où ils se laissent mourir dans des douleurs souvent terribles. A l’Institut spécialisé dans l’accueil des liquidateurs à Moscou, les médecins avouent ne pas toujours avoir assez de médicaments pour soulager leurs patients. De ces héros sacrifiés de l’histoire, on ne parle plus guère et pourtant nous devrions leur être infiniment reconnaissants. Il serait grand temps de lever la chape de silence qui pèse encore sur cet épisode majeur de notre histoire. Le film « Le Sacrifice » s’y emploie.

Anne-Cécile Reimann

1 Roger Belbéoch, Stop Nogent, N°106, janvier-avril 2005


Tchernobyl : une catastrophe pour rien ?

Il y a tout juste 19 ans que la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl provoquait le plus grave accident industriel de tous les temps. Le bilan de cette catastrophe est effrayant et il est loin d’être définitif. Le Secrétaire Général de l’ONU, Kofi Annan, a déclaré que 9 millions d’adultes et plus de 2 millions d’enfants souffraient des conséquences de Tchernobyl et que la tragédie ne faisait que commencer(1).

Autour de Tchernobyl, la radioactivité continue de détruire la vie, ceux qui la subissent comparent ses conséquences à un arbre qui pousse. Une image un peu trop belle pour évoquer les effets terrifiants de ce fléau. Tous les radionucléides échappés du réacteur et partis en poussières et fumées sont retombés et atteignent maintenant les humains par la chaîne alimentaire. De plus, la radioactivité migre dans les sols, contaminant les nappes phréatiques. Les gens qui n’ont pas d’autre choix que de vivre sur ces territoires et de consommer des produits qui en sont issus, souffrent de maux liés aux radiations : leucémies, cancers du côlon, du poumon, de la vessie, du rein, de la thyroïde, du sein, maladies du coeur et des vaisseaux (dans des régions contaminées, jusqu’à 80% des enfants souffrent de symptômes cardiaques), maladies du foie, des reins, de la glande thyroïde, altérations du système immunitaire, arrêt du développement mental chez des enfants exposés in utero, cataractes, mutations génétiques, malformations congénitales, malformations du système nerveux, hydrocéphalies etc. Le décompte des victimes (Voir ci-dessous) conduit à un total gigantesque. Face à une telle démesure, on est étonné que l’industrie nucléaire ait pu continuer à se développer. Faut-il que nos contemporains soient privés de la plus petite parcelle d’imagination pour ne pas s’opposer de toutes leurs forces à un danger de cet ordre pour eux et leurs enfants ? Il est vrai que lorsqu’il s’agit de décrire l’apocalypse consécutive à l’accident de Tchernobyl, on se trouve confronté à un manque de données et donc de preuves, lequel n’est pas du tout le fait du hasard. Ce qu’il est convenu de nommer le « lobby nucléaire » est un groupe de pression extrêmement puissant et cynique qui a su mettre au point une désinformation soigneusement entretenue et relayée jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir. Au sein de la communauté internationale, par exemple, l’intérêt pour les effets de l’accident se traduit principalement dans la recherche, laquelle ne conduit pas au renforcement de l’aide aux populations, mais au contraire à la défense de la réputation du nucléaire, le but des études entreprises consistant principalement à éviter que certains effets sur la santé soient attribués « à tort » aux radiations. Dans les pays limitrophes de la centrale, aucune étude épidémiologique sérieuse n’est plus menée. Celles qui avaient été entreprises en Biélorussie ont été stoppées avec la disparition de l’Institut du professeur Okeanov, qui tenait pourtant un registre des cancers depuis 1972(5). Le programme d’étude portant sur l’effet sanitaire des faibles doses de césium 137 ingéré et incorporé entrepris par le professeur Y. Bandajevsky a été abandonné depuis l’incarcération du médecin et ce sujet de recherche est désormais tabou dans ce pays où la population décroît inexorablement.

Une destruction indécelable

On peut se demander si le manque de prise de conscience réelle et à grande échelle du danger atomique « civil » n’est pas favorisé par l’absence de visibilité de la radioactivité qui est indécelable à tous nos sens. C’est la mort sans visage, sans odeur, sans couleur, autant dire sans nom… Par ailleurs, les centaines de milliers de victimes de Tchernobyl sont mortes de maladies variées, chez elles ou dans des hôpitaux, sur une période de plusieurs annéees. Elles n’offrent guère de possibilité d’images évoquant le caractère démesuré de cet accident. Quant à la majorité des victimes actuelles de Tchernobyl condamnées à vivre sur des territoires hautement radioactifs et à consommer des aliments contaminés, leurs souffrances n’ont visuellement rien d’extraordinaire : qui iraient photographier à Tchernobyl des jeunes atteints de maladies cardiaques, de diabète ou des cancéreux, alors qu’il en existe partout ailleurs ? Dans notre « société du spectacle », c’est peut-être cette pénurie d’images qui permet aux mensonges les plus invraisemblables de se répandre. Par exemple, l’OMS, sous la pression de l’AIEA, continue de prétendre que l’accident de Tchernobyl n’a causé que 32 morts, sans provoquer de tollé (6) ? Ce chiffre grotesque étant d’ailleurs utilisé sans vergogne par tous ceux qui souhaitent minimiser les conséquences de cette tragédie. Il est instructif de s’interroger sur les silences, les secrets et finalement l’amnésie qui entourent cet évènement. Tout se passe comme si l’humanité se trouvait incapable de se représenter l’horreur des conséquences d’un accident nucléaire et d’en tirer les leçons qui s’imposent. D’ailleurs, les instances de l’ONU chargées de la santé et de l’alimentation mondiales ne s’apprêtent-elles pas à relever en toute discrétion les valeurs limites des normes internationales de contamination radioactive des aliments en autorisant officiellement par exemple une contamination de 1000 becquerels/litre pour le lait6 ? Le docteur Galina Bandajevskaia, pédiatre au Belarus déclare à ce propos que « si l’on choisit 1000 becquerel/litre, on ignore la leçon de Tchernobyl ! Les enfants mourront en un mois. C’est criminel ! » Lorsqu’une réelle prise de conscience de l’aspect effroyable d’un accident dans une centrale nucléaire parvient à naître chez un individu, cela signifie qu’il a réussi à passer outre une quantité impressionnante de mensonges et une désinformation extrêmement efficace. Il s’agit à proprement parler d’une forme de négationnisme dont les responsables, espérons-le, auront un jour à rendre justice.

Quelques chiffres

  • destruction d’une zone agricole couvrant 52 000 km2 (soit la taille du Danemark)
  • contamination de la terre sur un diamètre de près de 150 000 km2 (un tiers du territoire français)
  • déplacement de 400 000 personnes
  • 7 à 9 millions d’autres continuent à vivre sur les territoires reconnus contaminés
  • le nombre de décès oscille, selon les estimations, entre 14 000(2) et 126 0003 morts
  • l’excès de mortalité par cancers imputables aux radiations durant les années à venir pourrait atteindre 430 000 (4)
  • en Ukraine, on dénombre chaque année 100 000 nouveaux invalides des suites de l’accident.

Fabienne Gautier

Notes :

1 En avant-propos d’une brochure publiée en avril 2000 par le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), « Chernobyl, a continuing catastrophe ».

2 Estimation de l’autorité de sûreté américaine

3 Calcul basé sur le nouveau facteur de risques officiellement admis par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) depuis 1990, in Bella et Roger Belbéoch, Tchernobyl, une catastrophe, Allia, Paris, 1993

4 Calcul effectué en prenant comme valeur de risque la valeur brute établie à partir du suivi de mortalité des survivants japonais de la bombe atomique. NB cette valeur n’est pas la plus élevée possible, d’autres études conduisent à des valeurs 2 à 3 fois plus grandes.

5 Dans une étude d’Okeanov publiée dans une revue scientifique renommée, il apparaît que le nombre des cancers a augmenté dans toutes les régions, et cela de manière statistiquement très significative. Voir Okeanov, Sosnovskaya, Priatkina, « National cancer registry to assess trends after the Chernobyl accident » in Swiss medical weekly, 2004 ; 134,· www.smw. ch

6 Le rapport de l’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations Unies sur les effets des radiations atomiques), publié à l’occasion du 14ème anniversaire de Tchernobyl en juin 2000 fait état de 32 morts, 200 irradiés et 2 000 cancers de la thyroïde chez les enfants.

7 La commission du Codex Alimentarius, une structure placée sous la double responsabilité de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de l’organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) est sur le point d’adopter, à la demande de l’AIEA, une norme autorisant l’importation et l’exportation des denrées alimentaires contaminées. La seule condition requise est que le taux de polluants soit inférieur à des seuils compris entre 1 et 10 000 Bq/kg.

 
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