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Articles par thèmes :
Tchernobyl Youri Bandazhevsky
Articles par pays :
Russie - Europe de l’Est
Journal par No :
No 62, février 2002
Auteurs :
Anne-Cécile Reimann
No 62, février 2002
Publié le dimanche 30 septembre 2007

Là où le nucléaire passe, la démocratie trépasse

Je vous assure que dans la vie courante, je suis d’un naturel assez optimiste, privilégiant la comédie à la tragédie ! J’apporte cette précision car ça m’embêterait que vous me preniez pour une grincheuse, oiseau de mauvais augure ne voyant que du « moche » partout ! Seulement, voilà, quand on écrit dans un journal antinucléaire, il faut bien reconnaître que les bonnes nouvelles à annoncer ne se bousculent pas au portillon et pourtant, il faut bien continuer à empoigner le taureau par les cornes et s’atteler à dénoncer encore et toujours, ce qui est scandaleux, injuste et désespérant, Alors allons-y !

L’affaire Gregori Pasko

Après l’affaire Bandazhevsky, sur laquelle je reviendrai plus loin, voici maintenant le cas Gregori Pasko, journaliste russe qui risque 4 ans de prison si le pourvoi en cassation déposé par ses avocats est refusé. Ancien capitaine de la marine russe, Gregori Pasko a en effet été condamné le 25 décembre 2001 en appel par la Cour suprême militaire russe à 4 ans de prison ferme pour haute trahison. Il est accusé par le FSB (ex. KGB) d’avoir transmis des « secrets d’Etat » à des « organisations étrangères ». Le journaliste avait notamment filmé le déversement de déchets radioactifs en mer du Japon. Ces images ont ensuite été diffusées par la télévision japonaise NHK sans l’accord de M. Pasko.

Reporters sans frontière s’en mêle

« Reporters sans Frontière » a qualifié « d’inacceptable et scandaleuse la condamnation du journaliste russe qui vise à intimider et à réduire au silence la presse russe sur des sujets parmi les plus importants et les plus sensibles », encore une affaire à suivre attentivement !

Yuri Bandazhevsky

En ce qui concerne Yuri Bandazhevsky maintenant, ce savant biélorusse condamné à 8 ans de goulag (dont nous avions conté toute l’histoire dans le No 60 de ContrAtom, p. 6 et 7), nous apprenons par Solange et Michel Fernex dans un article publié dans le No 3 de PSP (Médecins pour une responsabilité sociale / pour une prévention de la guerre nucléaire) qu’ils ont pu rencontrer l’avocat de Yuri Bandazhevsky et que les centaines de lettres adressées au Président biélorusse ont permis certaines améliorations des conditions de sa détention. N’empêche que ce fondateur et doyen de la Faculté de Médecine de Gomel, recteur de l’Institut à l’âge de 33 ans, va bel et bien fêter ses 45 ans au goulag ! Solange et Michel Fernex appuient une nouvelle campagne de lettres adressées au Président Lukachenko.

« Je suis sûr que si on ne m’entend pas aujourd’hui, on m’entendra demain. Les graines du bon sens finiront bien par germer. L’essentiel est de les semer ! »

Ainsi parlait Yuri Bandazhevsky dans une interview donnée peu avant d’être emprisonné, le 13 juin 2001.

Une nouvelle lettre

Nous prenons donc le relais et vous faisons parvenir par l’intermédiaire de ce numéro, une nouvelle version de demande de libération de notre prisonnier. Nous vous demandons instamment de nous la renvoyer signée au plus vite car nous avons décidé de nous rendre en chair et en os, porteurs de ces lettres, à la mission de Biélorussie, conférence de presse à l’appui, histoire d’attirer une nouvelle fois l’attention du public sur cette révoltante affaire. Pour que notre démarche soit crédible, il nous faut évidemment réunir un nombre de lettres suffisamment éloquent. Si vous avez la possibilité de photocopier cette lettre et de la faire signer autour de vous, ce serait vraiment extra. Mais surtout : n’oubliez pas de nous renvoyer en tous cas la vôtre. Ce petit geste a l’air anodin, mais mis ensemble les petits gestes dont on sous-estime trop souvent l’importance deviennent souvent de grandes actions. Le gouvernement de Biélorussie recherche actuellement les faveurs de l’Union européenne et Bandazhevsky, dont on parle trop dans la presse et au Parlement européen, constitue un obstacle encombrant ! Alors si on se met à en parler même en Suisse qui ne fait pas partie de l’UE, Lukachenko, cela ne peut que le rendre mûr !

Une lettre amicale

Au sujet de Yuri Bandazhevsky encore, sachez que ContrAtom lui a adressé une missive à sa prison de Minsk pour lui remonter le moral. Cette lettre se termine ainsi : « Nous espérons que vous recevrez cette missive car nous tenons beaucoup à ce que vous sachiez que tous les membres de notre association vous soutiennent chaleureusement. Avec toute notre ferveur ! Ceux et celles de ContrAtom. » J’espère que la prochaine fois que nous vous reparlerons de Yuri Bandazhevsky se sera pour vous annoncer sa libération !

Anne-Cécile Reimann


ContrAtom à la porte d’un théâtre

Il s’agit bien là d’une première : invitée par le directeur du théâtre du Grütli, Philippe Luscher, ContrAtom a « tenu boutique » du 6 au 25 novembre devant la porte du théâtre du Grütli qui donnait, en création, dans une mise en scène de Boris Lutsenko, « Les trois sœurs à Tchernobyl ». Dans ce contexte, nous avions convenu d’être présents ½ heure avant chaque représentation.

Je puis vous dire que la chose n’allait pas de soi : le commun des mortels lorsqu’il se déplace pour aller au théâtre, le fait dans un but de délassement et ne s’attends pas forcément à être apostrophé par des militants qui veulent le sensibiliser aux dangers de l’atome et au besoin impérieux de se mobiliser contre le nucléaire, quelque soit le sujet de la pièce qu’il vient voir !

Les premières fois, je me suis sentie assez mal à l’aise, tendant d’une main hésitante mon prospectus jaune : « Le nucléaire suisse au-dessus de tout soupçon ? ». Les futurs spectateurs, qui pour la plupart ne savaient pas encore qu’ils allaient assister à une pièce à forte connotation antinucléaire, semblaient se demander ce que je pouvais bien ficher là ! Certains m’ont lancé : « C’est pour Swissair ? » d’autres : « ContrAtom ? ah non, c’est beaucoup trop politique ! ».

Lors de la première représentation, j’ai assisté au spectacle, qui est, vous le savez, le fruit d’un « montage » entre la partition tchékhovienne des « Trois sœurs » et le documentaire à la fois hyperréaliste, poétique et métaphysique de Svetlana Alexievitch : « La Supplication » (lire l’article de J. Rossiaud au sujet de « La Supplication » dans le No 54 de ContrAtom, p.8).

Allez, pendant qu’on y est, je vous résume la pièce, vite fait, bien fait :

En résumé

Après la catastrophe, qu’on devine être celle de Tchernobyl, seul un perroquet mécanique occupe la scène, bientôt rejoint par un clown triste tombé du ciel sur une planète dévastée, la Terre. Ce saltimbanque découvre le manuscrit de Tchékhov et celui de Svetlana Alexievitch. Suite à une énorme explosion, les deux manuscrits s’envolent, les pages se confondent, se mêlant les unes aux autres. Démiurge, metteur en scène, scénariste, ordonnateur de la partition, le clown se saisit alors d’une page des « Trois sœurs » puis d’un extrait des témoignages de « la Supplication » d’où une couronne de fragments, un montage de dialogues et monologues qui fait surgir de l’imagination du clown, tour à tour les personnages tchékhoviens et les témoins porteurs de voix suppliciées de Tchernobyl.

Dans la pièce de Tchékhov qui se déroule au début du siècle, les gens imaginent que dans une centaine d’années la vie sera plus heureuse, notamment grâce à l’apport de la science. L’œuvre de Svetlana Alexievitch, elle, scelle le crépuscule d’un siècle de catastrophes, le bilan tragique de ce rêve de félicité future. Lorsque les personnages tchékhoviens basculent dans leur avenir, ils se retrouvent ainsi sous les traits des témoins et acteurs de Tchernobyl dépeints par la journaliste biélorusse.

Une pièce émouvante

Ça a l’air clair à raconter ainsi à l’aide des explications du prospectus du théâtre, mais sur la scène toute cette histoire est pas mal embrouillée et une chatte aurait tout de même un peu de mal à y retrouver ces petits ! Voilà pour le côté analyse intellectuelle.

Maintenant, côté affectif, moi, je vous l’avoue, j’ai été émue jusqu’aux larmes. Les acteurs étaient formidables et ont su créer des moments d’intense émotion. Les témoignages des rescapés de Tchernobyl sont parfois proche de l’insoutenable et vers la fin de la pièce, lorsque le clown soulève et rabaisse, dans un mouvement frénétique, le couvercle d’une marmite en hurlant « alors les centrales nucléaires, les fermer ? Plus d’électricité ! Ne pas les fermer ? La terre anéantie ! Les fermer ? Ne pas les fermer ? Les fermer ? Ne pas les fermer ?… » Je vous mets ma main à couper que tout le monde dans la salle avait envie de crier : « Les fermer, nom d’une pipe ! »

Ciel :« L’ambassadeur de Biélorussie » !

Donc, je reprends : me voici spectatrice, le soir de la première à laquelle assiste également tout un petit gratin de personnalités dont, entre autres : l’ambassadeur de Biélorussie ! Biélorussie, Bandazhevsky, goulag, ça vous dit quelque chose ?

(A ce propos n’oubliez pas de nous renvoyer signée, la lettre encartée dans ce numéro !)

Or j’avais, cachés sous ma petite laine, quelques panneaux jaunes « Libérez Yuri Bandazhevsky » que je comptais brandir héroïquement sous le nez des officiels biélorusses, mais c’était hélas sans compter sur l’effet que la pièce avait produit sur ma personne : je me trouvais après le spectacle dans un état psychologique très amoindri et bien incapable de mettre mes projets à exécution ! J’ai donc pris courageusement la poudre d’escampette avec armes et bagages laissant le gratin biélorusse à ses mondanités !

Une expérience positive

Par contre, j’ai continué vaillamment à assumer chaque soir « le piquet » ContrAtom à la porte du théâtre et, tout compte fait, cette expérience m’apparaît plutôt positive. Certes, quelques rebuffades m’ont fait parfois me demander ce que je faisais là, mais j’ai aussi et surtout eu l’occasion de discuter avec des gens qui vont s’intéresser dès lors plus sérieusement à la lutte antinucléaire. J’ai aussi pu constater que le commun des mortels ne sait presque rien sur la réalité nucléaire de notre pays. Certaines personnes ne savent pas combien nous avons de centrales nucléaires en Suisse (il y en a même qui pense que nous n’en avons point !). D’autres pensent que le problème des déchets est résolu depuis belle lurette ou que le retraitement, c’est bien, car il enlève la radioactivité des déchets ! La plupart des gens ne croit pas qu’il existe 2 mètres de fissures à Mühleberg et me demandent de fournir des preuves et il y a évidemment tous les fanatiques pro qui assurent que le nucléaire est la seule énergie d’avenir, une énergie propre, qui n’engendre pas d’effets de serre (alors que le CO2 est le principal gaz à effet de serre…) et qui assurera le confort de l’humanité ad eternam.

Microtrottoir nucléaire

Ce qui ressort en tous cas clairement de ce « micro trottoir théâtral » c’est que nous avons encore beaucoup de boulot à faire pour informer les gens, d’ici aux prochaines votations, sur nos initiatives antinucléaires et que chacun d’entre nous est chaleureusement invité à prendre son bâton de pèlerin. A la porte du Grütli je n’ai peut-être pas réussi à convaincre des masses de gens, mais certainement quelques personnes qui seront désormais dans notre camp. C’est peut-être comme cela qu’on avance : lentement, mais sûrement.

Une terrible dictature

La permanence devant le théâtre m’a aussi permis d’avoir la confirmation (mais je n’en doutais pas) que la Biélorussie est une terrible dictature et que Yuri Bandazhevsky est dans une belle gonfle ! Lors de la rencontre entre le public et les comédiens, Svetlana Alexievitch (l’auteure de la Supplication) nous avait clairement expliqué qu’elle avait dû s’exiler en Italie, suite à la publication de son livre. Quant à Boris Lutsenko, l’adaptateur et metteur en scène des Trois sœurs à Tchernobyl, je trouvais bizarre qu’il puisse à la fois écrire des pièces aussi subversives et être en même temps directeur artistique du Théâtre National de Biélorussie à Minsk. Je lui avais d’ailleurs clairement posé la question : « N’avez-vous pas peur de rentrer en Biélorussie après avoir créé cette pièce, sachant qu’elle a été vue par l’ambassadeur de votre pays ? » Il m’avait alors répondu qu’il était serein et pas du tout inquiet. Eh bien voilà le résultat des courses : après son départ, le Théâtre du Grütli a envoyé à son imprésario en Biélorussie la critique de la Tribune de Genève qui était mauvaise. Cette critique a été traduite et publiée dans tous les journaux de Biélorussie. Aux dernières nouvelles, (y-a-t-il ou non cause à effet ?) le Théâtre National de Biélorussie est fermé, soit disant pour cause de travaux dont il n’y a pas la moindre trace et Boris Lutsenko, s’il n’a pas encore été démis de ses fonctions, est d’ores et déjà mis à pied, puisqu’il n’a plus rien à faire dans un théâtre fermé. La situation est dramatique pour toute la troupe du théâtre qui n’est plus payée. Les plus optimistes espèrent une hypothétique réouverture en mars, mais il est plus probable que « le dictateur » en place juge que ce n’est pas très important d’avoir un théâtre national à Minsk, surtout si son directeur fait passer des messages peu conformes à la ligne politique en vigueur là-bas. Le théâtre risque donc bien d’être fermé pour longtemps. Le seul espoir pour la troupe de Minsk serait de trouver une production suisse qui soit montée là-bas par les comédiens qui n’ont actuellement plus un sou pour fabriquer des décors et des costumes. Un théâtre qui se meurt, c’est un malheur !

Quoi qu’il en soit, je me tiens au courant et je ne manquerai pas de vous informer de la suite des événements.

C’est chouette la liberté d’expression dans l’ex-union soviétique !

Anne-Cécile Reimann

 
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